1. Notre Seigneur et Sauveur, frères très chers, nous exhorte tantôt par ses paroles, tantôt par ses actes. Ses actes sont eux-mêmes des enseignements car quand il agit sans parler, c'est pour nous montrer ce que nous devons faire. Il envoie les disciples deux par deux, parce qu'il y a deux commandements sur la charité : l'amour de Dieu et l'amour du prochain, et que s'il n'y a pas au moins deux personnes, la charité ne peut pas exister. Le Seigneur envoya ses disciples prêcher deux par deux pour nous montrer sans parole que celui qui n'a pas la charité envers son prochain ne peut absolument pas recevoir la charge de prêcher.
2. Mais il est dit aussi qu'«il les envoya devant de lui dans toutes villes ou endroits où il devait aller.» En effet le Seigneur vient à la suite de ses prédicateurs, car la prédication vient en premier et ensuite le Seigneur vient demeurer dans notre âme; d'abord les paroles de l'exhortation, puis grâce à elle, la vérité est reçue par notre âme. Isaïe dit à des prédicateurs : «Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu.» (Is 40,3) Et le psalmiste leur dit : «Préparez les voies à celui qui s'est élevé au-dessus de la mort.» (Ps 67,5). En effet le Seigneur S'est élevé au-dessus de la mort, car après sa Passion, Il fut couché dans le tombeau et Il a manifesté sa très grande Gloire en ressuscitant. Évidemment Il surmonta la mort, puisque après l'avoir supportée, Il l'écrasa en ressuscitant. Nous, nous préparons donc les voies à Celui qui S'est élevé au-dessus de la mort, lorsque nous parlons de sa Gloire à vos âmes et qu'ainsi Lui-même venant après, les illumine par la présence de son Amour.
3. Écoutons ce qu'il dit aux prédicateurs qu'Il envoie : «La moisson est abondante mais les ouvriers peu nombreux; demandez donc au maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson.» Pour une moisson abondante les ouvriers sont peu nombreux; c'est avec une grande tristesse que nous disons que ceux qui pourraient dire de bonnes paroles manquent alors que ceux qui pourraient les écouter sont là. Voici que le monde est plein de prêtres; cependant pour la moisson de Dieu se trouvent très peu d'ouvriers, car nous avons reçu une fonction sacerdotale mais nous n'accomplissons pas le travail correspondant à cette fonction. Mais pensez, frères très chers, pensez à ce qui est dit : «Demandez donc au Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers dans sa moisson.» Vous demandez donc pour nous que nous soyons capables d'exercer dignement notre ministère envers vous, que notre langue ne soit pas engourdie pour exhorter, qu'après avoir reçu la charge de la prédication, notre silence ne nous condamne pas auprès du juste Juge. Souvent en effet la langue des prédicateurs est liée par leur malice; souvent par la faute des inférieurs, il arrive que des supérieurs n'aient plus la possibilité de parler. Car par leur malice la langue du prédicateur est liée comme dit le psalmiste : «Car Dieu dit au pécheur : pourquoi cites-tu mes préceptes ?» (Ps 49,16). Mais je le répète du fait des vices des inférieurs la voix des prédicateurs est retenue comme le Seigneur le dit à Ezéchiel : «Je ferai adhérer ta langue à ton palais et tu seras muet et tu ne réprimanderas pas parce que l'assistance est récalcitrante.»(Ez 3,26). Comme s'il disait clairement : en ce cas la parole de prédication te sera retirée car cette foule m'exaspère par sa conduite et n'est pas digne d'une exhortation de vérité. Mais par la faute de qui la parole est-elle retirée au prédicateur, ce n'est pas facile à savoir. Mais si le silence du pasteur nuit parfois à lui-même, il nuit toujours à ceux qui l'écoutent, c'est absolument certain.
4. Mais si nous sommes insuffisants quant à la force de notre prédication, du moins remplissons l'office qui nous à été confié en menant une vie innocente car il est ajouté : «Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.» Mais beaucoup, alors qu'ils ont reçu l'autorité pour gouverner les âmes, se mettent en colère pour réprimander les inférieurs, donnent l'impression que leur pouvoir est terrible et nuisent à ceux qu'ils auraient dû aider. Et parce qu'ils n'ont pas de sentiments charitables, ils cherchent à être considérés comme des maîtres et se reconnaissent très peu comme des frères, transformant une charge d'humilité en une domination orgueilleuse; si quelquefois ils flattent extérieurement, ils blâment intérieurement. C'est d'eux que la Vérité dit ailleurs : «Ils viennent à vous revêtus des peaux de brebis, mais au-dedans ce sont des loups rapaces.» (Mt 7,15). Tout au contraire nous devons considérer que nous sommes envoyés comme des agneaux au milieu des loups. Ainsi, conservant le sentiment de l'innocence nous ne donnerons pas prise à la méchanceté. Car celui qui a reçu une charge de prédication, ne doit pas apporter le mal mais le supporter; ainsi par sa mansuétude, il adoucira la colère des furieux et blessé lui-même par des humiliations il soignera les blessures des pécheurs. Même si parfois le zèle de la vérité exige qu'il se mette en colère contre ses subordonnés, que sa colère soit pleine d'amour et non de cruauté; aussi en même temps il présentera au-dehors les droits de la discipline et en dedans il aimera d'une affection paternelle en leur portant secours, ceux qu'il châtie extérieurement. L'évêque ou le prêtre doit alors bien montrer : qu'il ne s'aime pas d'un amour égoïste, qu'il ne recherche aucun avantage dans ce monde, enfin qu'il n'est pas soumis au fardeau de la cupidité terrestre.
5. D'où ce qui est ajouté : «Ne portez ni bourse, ni sac, ni chaussures et ne saluez personne en chemin.» En effet la confiance en Dieu du prédicateur doit être si grande que sans prévoir les dépenses de la vie présente, il sache de façon certaine que rien ne lui manquera; il évitera ainsi que son esprit, rempli de préoccupations matérielles le concernant, se soucie moins des préoccupations éternelles des autres âmes. Il lui est aussi recommandé de ne saluer personne en chemin, c'est pour montrer avec quelle hâte il doit suivre le chemin de la prédication. On peut aussi voir une image dans l'argent que contiendrait la bourse. Cet argent enfermé c'est la sagesse cachée; celui qui détient les paroles de la sagesse mais néglige de les communiquer à son prochain les retient enfermées comme l'argent dans une bourse. C'est pourquoi il est écrit : «Sagesse cachée, trésor caché, quelle est leur utilité ?» (Ec 41,17). Que signifie le sac sinon les fardeaux du monde ? Que signifient les chaussures sinon les exemples des oeuvres mortes ? celui qui a reçu la charge de la prédication, ne doit pas porter le fardeau des affaires du monde. Car pendant qu'elles le submergeraient, il ne pourrait pas prêcher les choses célestes. Il ne doit pas non plus prendre exemple sur les oeuvres des insensés pour éviter de recouvrir ces oeuvres avec des espèces de peaux mortes qu'il croirait être une protection. Beaucoup de gens en effet excusent leur dépravation par l'exemple de la dépravation des autres. Parce qu'en effet ils voient les autres faire de telles choses, ils pensent avoir le droit d'en faire autant. Ceux-là que font-ils d'autre que se mettre à protéger leurs pieds avec des peaux d'animaux morts ? Mais celui qui salue sur la route salue au hasard du chemin sans souhaiter quelque chose. Donc celui qui salue le premier non par amour de l'éternelle patrie, mais par recherche d'avantages, salue comme passant parce qu'il souhaite saluer ceux qu'il rencontre par occasion et sans intention vraie.
6. Voici la suite du texte : «Si vous entrez dans une maison, dites paix à cette maison. S'il y a là un homme de paix, votre souhait de paix reposera sur lui ; sinon il vous reviendra.» La paix qu'apporte la bouche du prédicateur, ou repose sur la maison si elle contient un homme de paix, ou revient au prédicateur lui-même; car ou il y aura là quelqu'un prédestiné à la vie éternelle et qui suivra la parole de paix entendue, ou bien personne ne voudra l'écouter et le prédicateur lui-même ne sera pas sans avantage car la paix lui reviendra puisque le Seigneur le récompensera pour son travail.
7. Voilà que celui qui a interdit de porter une bourse ou un sac accorde des récompenses et des aliments pour la prédication même. Car il est ajouté ceci : «Mais demeurez dans la même maison, mangeant et buvant ce que l'on vous offrira car celui qui travaille mérite un salaire.» Si notre paix a été reçue, il est juste que nous restions dans la même maison, mangeant et buvant ce qu'il y a chez eux ; ainsi nous recevrons un salaire terrestre de ceux à qui nous offrons les récompenses de la patrie céleste. Aussi saint Paul considérant ce salaire terrestre pour très peu de chose dit : «Si nous avons semé parmi vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous recevions de vous des biens matériels ?» (1 Cor 9,11). Notons ce qu'il ajoute : «Celui qui travaille mérite son salaire,» car la nourriture elle-même est un salaire pour ce qui a été fait; ainsi un salaire commence ici-bas à récompenser le travail de prédication et là-haut la vision de la Vérité achèvera de le récompenser. Dans cette affaire il faut considérer que deux récompenses sont dues pour un seul de nos travaux, une sur la route de la vie, l'autre dans la patrie céleste, une qui nous soutient dans notre travail, l'autre qui nous récompense à la résurrection. C'est pourquoi la récompense reçue dans le temps présent doit nous inciter à tendre avec plus de vigueur vers la récompense céleste. Donc chaque prédicateur confirmé ne doit pas prêcher dans le but de recevoir une récompense en ce temps, mais il doit cependant recevoir une récompense pour pouvoir continuer à prêcher. Et celui qui prêche pour recevoir ici-bas une récompense en louanges et en cadeaux, se prive sans aucun doute de la récompense éternelle. D'une part chaque prédicateur doit désirer que ses paroles plaisent aux hommes mais avec l'intention de faire aimer Dieu et non lui-même; d'autre part il reçoit des récompenses terrestres pour sa prédication mais seulement pour éviter que l'indigence ne l'empêche de prêcher; sans aucun doute le fait d'avoir été reçu et nourri sur la route ne constitue en rien un obstacle à recevoir sa récompense dans la patrie céleste.
8. Mais que faisons-nous ? - je ne peux le dire sans douleur - Que faisonsnous ? Ô pasteurs ! Nous qui obtenons un salaire et ne faisons aucun travail. Nous recevons des revenus de la sainte Église sous forme d'un salaire quotidien et cependant nous travaillons très peu à la prédication pour l'Église éternelle. Pensons, mesurons quelle condamnation l'on mérite à recevoir un salaire sans faire le travail correspondant. Voilà que nous vivons des offrandes des fidèles, mais que faisons-nous pour les âmes de ces fidèles ? Nous prenons pour notre salaire ce que les fidèles ont offert pour racheter leurs péchés et cependant nous ne nous fatiguons pas comme il le faudrait contre ces mêmes péchés et par l'oraison et par la prédication. C'est à peine si nous blâmons à haute voix quelqu'un de sa faute. Et - ce qui est plus grave - parfois si une personne est puissante en ce monde, ses fautes sont louées de peur que, si on s'y opposait, dans sa colère elle ne retire le don qu'elle accordait. Mais nous devons sans cesse nous rappeler ce qui est écrit à propos de certains hommes : «Ils se nourrissent des péchés de mon peuple.» Mais pourquoi dit-on qu'ils se nourrissent des péchés du peuple si ce n'est parce qu'ils cachent ces péchés pour ne pas perdre des salaires temporels ? Mais nous aussi qui vivons des dons des fidèles offerts pour leurs péchés, si nous mangeons et nous taisons, nous nous nourrissons sans aucun doute de leurs péchés. Pensons donc quel crime c'est aux yeux de Dieu de se nourrir des dons des pécheurs et de ne rien faire en prêchant contre leurs péchés. Écoutons ce qui est dît par la voix du bienheureux Job : «Contre moi crie ma terre et avec elle ses sillons pleurent si j'ai mangé ses fruits sans les payer.» (Job 31,38). En effet la terre crie contre son possesseur quand l'Église proteste justement contre leur pasteur. Ses sillons pleurent si les coeurs de ceux qui écoutent, déchirés par la voix de la prédication et la vigueur de l'apostrophe des précédents pères, voient quelque chose qui les fait pleurer dans la vie de son pasteur. Naturellement le bon possesseur de la terre ne mange pas ses fruits sans payer, car le pasteur conscient de son devoir fournit le talent de sa parole pour ne pas se nourrir pour sa propre condamnation du salaire que l'Église lui fournit pour son entretien. Nous mangeons les fruits de notre terre en juste paiement quand vivant des subsides ecclésiastiques, nous travaillons à la prédication. Nous sommes en effet les hérauts du Juge à venir. Annonce-t-il donc le juge à venir, le héraut qui se tait ?
9. Chacun de nous doit examiner s'il est efficace, s'il est suffisant, s'il s'efforce de faire connaître à l'Église dont il est chargé la crainte du Juge à venir et la douceur du Royaume. Et celui qui n'est pas capable d'enseigner un grand nombre par une seule et même exhortation, doit les instruire un par un, autant qu'il peut, les édifier par des conversations privées, chercher à mettre des fruits spirituels dans les coeurs de ses fils par une exhortation simple. Et nous devons toujours méditer ce qui fut dit aux saints apôtres et par les apôtres à nous : «Vous êtes le sel de la terre.» Si donc nous sommes le sel, nous devons assaisonner les esprits des fidèles. Vous donc qui êtes des pasteurs, pensez que vous faites paître les fidèles de Dieu. A ce sujet justement le psalmiste dit à Dieu : «Vos fidèles y habiteront.» (Ps 47,11). Souvent nous voyons une pierre de sel placée pour les animaux sans esprit pour qu'ils puissent la lécher et se développer. Le prêtre doit être au milieu du peuple comme une pierre de sel au milieu des animaux sans sagesse. Car il faut que le prêtre prenne soin de dire à chacun de ceux qu'il admoneste que celui qui est soumis au prêtre doit être assaisonné par le goût de la vie éternelle comme par celui du sel. En effet nous ne sommes pas le sel de la terre si nous n'assaisonnons pas les coeurs de ceux qui nous écoutent. Certainement celui qui donne sa parole de prédicateur, offre véritablement ce condiment à son prochain.
10. Mais alors nous prêchons avec vérité aux autres des choses droites si nous justifions ces dires par nos actes, si nous-mêmes nous sommes pénétrés de l'amour de Dieu, si dans notre vie, qui ne peut jamais être parcourue sans faute, nous lavons chaque jour nos fautes avec nos larmes. Mais nous sommes vraiment touchés de repentir, si nous méditons avec application la vie des anciens pères, de façon que, à la vue de leur gloire, notre vie nous paraisse méprisable à nos propres yeux. Nous sommes vraiment touchés lorsque nous scrutons avec attention les préceptes du Seigneur et que nous nous efforçons de progresser grâce à eux, qui, nous le savons, ont autrefois fait progresser ceux que nous honorons. C'est en effet ce qui est écrit à propos de Moïse : «Il mit une baignoire de bronze pour qu Aaron et ses fils se lavent avant d'entrer dans le Saint des Saints; il la fit en fondant les miroirs des femmes qui veillaient à la porte de la tente.» (Ex 38,8). En effet, Moïse établit cette baignoire de bronze dans laquelle les prêtres devaient se laver avant d'entrer dans le Saint des Saints : car la loi de Dieu ordonne de nous laver par le repentir pour que notre impureté ne nous rende pas indignes de pénétrer la pureté des secrets de Dieu. C'est ce que signifie cette baignoire faite en fondant les miroirs des femmes qui veillaient sans cesse à la porte de la tente. Car les miroirs des femmes sont les préceptes de Dieu dans lesquels les âmes saintes se regardent souvent et aperçoivent les quelques taches de laideur qui ont pu se former. Elles corrigent alors les vices de leurs pensées et, avec soin, arrangent leur visage vu dans le miroir; en effet en s'appliquant parfaitement à suivre les préceptes du Seigneur, elles discernent en elles sans hésiter ce qui plaît ou ce qui déplaît à l'Homme-Dieu. Ces âmes, aussi longtemps qu'elles restent en vie, ne peuvent jamais entrer dans le Tabernacle éternel. Cependant les femmes veillent à la porte de la tente ; cela signifie que les âmes saintes, même lorsqu'elles sont encore appesanties par l'infirmité de la chair, observent cependant sans cesse avec amour l'entrée du Tabernacle éternel. Moïse fit donc une baignoire pour les prêtres avec les miroirs des femmes; ainsi la loi de Dieu fournit aux taches de nos péchés le bain du repentir en nous faisant contempler les préceptes célestes par qui les âmes saintes ont plu à leur époux céleste. Si nous nous appliquons à ces préceptes avec diligence, nous apercevons les taches de notre image intérieure. Mais à la vue de ces taches nous sommes touchés de repentir dans la douleur de la pénitence; et touchés de repentir, nous sommes vraiment lavés dans la baignoire symbolique faite des miroirs des femmes.
11. D'autre part il est tout à fait nécessaire que, lorsque nous sommes amenés au repentir à cause de nos fautes, nous cherchions avec zèle à aider ceux qui nous sont confiés. Ainsi que l'amertume du repentir ne nous détourne par de protéger nos proches. A quoi servirait en effet de prendre soin de nous mêmes si nous abandonnions nos proches ? Ou au contraire à quoi servirait d'aimer et d'aider avec zèle nos proches si nous nous abandonnions nous-mêmes ? Car dans la décoration du tabernacle il est prescrit d'offrir du tissu deux fois teint d'écarlate, de même qu'aux yeux de Dieu notre charité doit être colorée et de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain. Car celui-là s'aime vraiment lui-même qui aime saintement son Créateur. Il est donc teint doublement d'écarlate quand son âme est enflammée par l'amour de la Vérité aussi bien pour lui-même que pour son prochain.
12. Tout cela ne doit pas nous faire oublier que le zèle de la vérité contre les actes mauvais du prochain doit être exercé d'une façon telle que dans l'ardeur du reproche ne soit jamais abandonnée la mansuétude. Car la colère du prêtre ne doit jamais être précipitée ni agitée mais plutôt pénétrée de la gravité du conseil. Nous devons donc soutenir ceux que nous corrigeons et corriger ceux que nous soutenons; il ne faut pas que l'une des deux actions fasse défaut, il ne faut pas que l'action du prêtre soit seulement emportement ou seulement mansuétude. Rappelons ici que dans la figuration du service du temple de Jérusalem était sculpté sur les soubassements du Temple des lions, des boeufs et des chérubins. Mais pourquoi n'y avait-il sur ces soubassements ni lion sans boeuf, ni boeuf sans lion ? Qu'est-ce que les soubassements du Temple désignent sinon les prêtres dans l'Église ? En supportant le poids du gouvernement des âmes c'est comme s'ils portaient leur charge à la façon des soubassements. Si donc les bases sont décorées de chérubins, c'est assurément qu'il convient que les coeurs des prêtres soient remplis de la plénitude de la science de Dieu. Les lions figurent la terreur causée par la sévérité, les boeufs la patience de la mansuétude. C'est pourquoi sur les soubassements ne sont figurés ni lion sans boeuf, ni boeuf sans lion, car toujours les coeurs des prêtres doivent garder à la fois la force de la sévérité et la vertu de mansuétude. Ainsi la mansuétude calme la colère et l'ardeur de la rigueur enflamme la mansuétude pour qu'elle ne risque pas d'être trop indulgente.
13. Mais pourquoi disons-nous cela, lorsque nous voyons beaucoup de gens accablés par des actes fort atroces ? Car à vous prêtres, je vous dis en pleurant que, nous le savons, quelques uns d'entre vous font des actes religieux pour de l'argent, vendant la grâce spirituelle et par d'autres iniquités, accumulent des gains temporels en même temps que le châtiment de leur péché. Pourquoi donc ne vous souvenez-vous pas de ce que la voix du Seigneur a recommandé ? : «Ce que vous avez reçu gratuitement donnez le gratuitement.» Pourquoi ne remettez-vous pas sous les yeux de votre esprit que notre Rédempteur, entré dans le Temple renversa les sièges des marchands de colombes et répandit le bronze des pièces de monnaie ? Que représentent aujourd'hui ceux qui vendaient des colombes dans le temple de Dieu, sinon ceux qui dans l'Église reçoivent de l'argent pour l'imposition des mains ? Évidemment l'imposition des mains qui donne l'Esprit saint céleste. La colombe est donc vendue, puisque l'imposition des mains qui communique l'Esprit saint, est offerte contre de l'argent. Mais notre Rédempteur renverse les sièges des marchands de colombes parce qu'il détruit ainsi symboliquement le sacerdoce de ces prêtres trafiquants. Soulignons en effet que les sacrés canons condamnent lhérésie simoniaque et ordonnent de priver du sacerdoce ceux qui demandent de l'argent pour accorder les ordres sacrés. Donc les sièges des marchands de colombes sont renversés, lorsque ceux qui vendent les grâces spirituelles sont privés du sacerdoce ou aux yeux des hommes ou à ceux de Dieu. Et à vrai dire d'autres actions mauvaises des chefs restent maintenant cachées aux yeux des hommes. Et beaucoup de pasteurs se montrent saints aux hommes et, dans leurs actions cachées, n'ont pas honte d'apparaître indignes aux yeux de leur conscience. Il viendra, certainement, ce fameux jour, et ce ne sera pas long où le Pasteur des pasteurs apparaîtra et montrera à tout le monde les actions de chacun; lui qui punit maintenant par les chefs les fautes des sujets, condamnera alors lui-même avec sévérité les mauvaises actions des chefs. C'est pour cela qu'entré dans le Temple, il fit lui-même une sorte de fouet avec des cordes et rejetant les marchands corrompus hors de la maison de Dieu, il renversa les sièges des vendeurs de colombes; c'est ainsi qu'il châtie les fautes des sujets par les pasteurs mais frappe lui-même les vices des pasteurs. Car ce qui est fait en cachette peut-être nié devant les hommes mais certainement notre Juge va venir et personne ne pourra en se taisant se cacher de lui pas plus qu Il ne pourra le tromper en niant.
14. Il y a autre chose, frères très chers, qui m'afflige beaucoup à propos de la vie des pasteurs; mais pour que mon affirmation ne paraisse injurieuse à personne, je m'accuse également moi même autant qu'on voudra; bien que poussé par la nécessité d'une époque barbare, c'est bien malgré moi que je me trouve mêlé à tout cela. En effet, nous nous sommes abaissés à des occupations séculières, nous assumons l'une par honneur, nous réalisons l'autre par sentiment du devoir. Nous délaissons le ministère de la prédication et pour notre punition, comme je le vois, nous sommes appelés évêques, nous en avons le nom honorable mais nous ne le méritons pas. Et ceux qui nous sont confiés abandonnent Dieu et nous nous taisons. Ils sont plongés dans une mauvaise conduite et nous ne leur tendons pas la main pour les corriger. Chaque jour, corrompus de toutes sortes de façons, ils périssent et nous les voyons avec indifférence marcher vers l'enfer. Mais quand serons-nous capables de corriger la vie des autres, nous qui négligeons la nôtre ? Car étant attentifs aux soucis du monde, nous devenons intérieurement d'autant plus insensibles que nous paraissons plus tournés vers les réalités extérieures. Car par lhabitude des préoccupations terrestres, l'âme s'endurcit loin des désirs célestes. En devenant dure dans son comportement habituel influencé par le monde, elle n'est plus capable de s'émouvoir pour tout ce qui touche à l'amour de Dieu. C'est pourquoi la sainte Église dit bien à propos de ses membres infirmes : «Ils m'ont constitué gardiens des vignes et je n'ai pas gardé ma vigne.» (Can 1,5). Car nos vignes sont les offices que nous remplissons avec soin par un travail quotidien. Mais constitués gardiens des vignes nous gardons très peu notre vigne, car impliqués dans des actions étrangères à notre vocation, nous négligeons le ministère de notre charge. Je pense, frères très chers, que le plus grand préjudice fait à Dieu vient des prêtres, quand Il voit que ceux qu'il a placés pour corriger les autres donnent eux-mêmes des exemples d Inconduite, quand nous mêmes péchons alors que notre devoir est d'empêcher les autres de pécher. La plupart du temps, ce qui est plus grave, les prêtres qui devraient donner leurs propres biens, s'approprient même ceux des autres. La plupart du temps s'ils voient quelques personnes vivre humblement, s'ils en voient d'autres vivre dans la continence ils s'en moquent. Considérez donc ce que deviennent les troupeaux quand les pasteurs deviennent des loups. Ces pasteurs ont reçu la garde du troupeau et ils ne craignent pas de tendre des pièges au troupeau du Seigneur; c'est contre eux que le troupeau de Dieu aurait dû être gardé. Nous ne recherchons nullement le bien des âmes, nous vaquons à nos travaux quotidiens, nous recherchons les biens terrestres, avec avidité nous voulons la gloire humaine. Et par le fait même que nous sommes élevés au-dessus des autres, nous avons toute facilité pour faire ce qui nous plaît et nous détournons le ministère consacré que nous avons reçu pour accroître notre ambition ; nous délaissons la cause de Dieu pour nous occuper d'affaires terrestres. Nous avons reçu une charge de sainteté et nous sommes empêtrés dans des activités séculières. Assurément s'accomplit en nous ce qui est écrit : «Et il en sera du prêtre comme du peuple.» (Os 4,9). Car le prêtre ne diffère pas du peuple, si son action ne surpasse par aucun mérité celle des hommes.
15. Faisons appel aux larmes de Jérémie; qu'il veuille considérer notre mort spirituelle et dire en pleurant : «Comment l'or s'est-il terni ? La plus belle couleur s'est elle changé, les pierres du sanctuaire se sont-elles dispersées à tous les coins des places publiques ?» L'or s'est terni parce que la vie des prêtres, autrefois illustre par la gloire des vertus, se montre maintenant répréhensible par de très mauvaises actions. La plus belle couleur est changée parce que ce comportement de sainteté en est venu à une infamie méprisable à cause de leurs oeuvres terrestres et abjectes. Les pierres précieuses du sanctuaire étaient gardées à l'intérieur et n'étaient pas placées sur le corps du grand-prêtre si ce n'est lorsqu'il apparaissait en entrant dans le Saint des Saints dans le secret de son Créateur. Nous donc, frères très chers, nous sommes les pierres du sanctuaire qui devons toujours apparaître dans le secret de Dieu. Il ne faut jamais que l'on nous voie au-dehors, c'est-à-dire dans les actions extérieures. Mais les pierres sacrées du sanctuaire ont été dispersées à tous les coins des places publiques, car ceux qui auraient dû être toujours intérieurs par leur vie et leurs prières, perdent leur temps au-dehors dans une vie mauvaise. Voilà maintenant qu'il n'y a aucune activité laïque que n'exercent les prêtres. Quand les activités de ceux qui sont établis dans le saint état sont extérieures, ils ressemblent aux pierres du sanctuaire qui gisent à l'extérieur. Parce que, en grec, la place est ainsi nommée à cause de sa largeur, les pierres du sanctuaire sont sur les places lorsque des hommes religieux suivent les larges routes du monde. Ils se sont répandus non seulement sur les places mais à tous les coins des places, car ils accomplissent leurs oeuvres par convoitise de ce monde tout en recherchant le plus grand honneur de leur saint état religieux. Ils sont donc dispersés à tous les coins des places parce qu'à la fois ils y sont du fait de leurs travaux et qu'ils veulent être honorés par des dehors de sainteté.
16. D'autre part vous voyez aussi de quel glaive le monde est frappé, vous apercevez de quels coups le peuple meurt chaque jour. D'où cela vient-il sinon principalement de nos péchés ? Voilà que des villes ont été dépeuplées, des camps renversés, des églises et des monastères détruits et qu'ils ont été réduits à la solitude des champs. Mais nous sommes cause de la mort de ce peuple, nous qui devrions le conduire vers la vie éternelle car par nos péchés la foule du peuple est abattue puisque, du fait de notre négligence, elle n'est pas instruite en vue de la Vie. Mais que dirons-nous des âmes humaines, sinon qu'elles sont la nourriture du Seigneur, âmes humaines qui ont été créées pour être transportées dans son corps c'est-à-dire pour parvenir à augmenter l'Église éternelle. Mais nous aurions dû être l'assaisonnement de cette nourriture du Seigneur. Car, comme nous l'avons mentionné un peu plus haut, il est dit des prédicateurs envoyés en mission : «Vous êtes le sel de la terre.» Si donc le peuple est la nourriture de Dieu, les prêtres devraient en être l'assaisonnement. Mais puisque, pendant que nous perdons lhabitude de la prière et de l'étude, le sel s'est affadi et n'est plus capable de saler la nourriture de Dieu, elle n'est plus goûtée par le Créateur puisque du fait de notre folie elle est très mal conservée. Pensons donc à ceci : qui a jamais été converti par notre parole ? Qui a jamais été arraché de ses mauvaises actions par nos reproches ? Qui a fait pénitence ? Qui a quitté la luxure à la suite de nos instructions ? Qui a abandonné l'avarice, l'orgueil ? Réfléchissons donc : quel gain avons-nous rapporté à Dieu alors qu'ayant reçu un talent, nous avons été envoyés par lui pour travailler ? Car il est dit : «Travaillez jusqu'à ce que je revienne.» Voilà qu'il va bientôt venir, voilà qu'Il va réclamer le gain de notre travail. Quel gain d'âmes Lui montrerons-nous qu'ait fourni notre travail ? Quelle gerbe d'âmes sommes nous capables de lui présenter qu'ait moissonné notre prédication ?
17. Mettons sous nos yeux ce fameux jour de si grande rigueur où le Juge viendra et fera les comptes avec ses serviteurs à qui il a confié des talents. C'est dans sa majesté impressionnante qu'on Le verra au milieu des choeurs des anges et des archanges. La multitude de tous les élus et de tous les réprouvés sera amenée et ce que chacun a fait apparaîtra. On y verra Pierre avec la Judée convertie derrière lui, Paul conduisant le monde converti pour ainsi dire, André avec l'Achaïe derrière lui, Jean avec l'Asie, Thomas avec l'Inde convertie, tous à la vue de leur Roi. On y verra tous les béliers du troupeau du Seigneur avec les âmes qu'ils ont gagnées en traînant derrière eux le troupeau soumis par leur sainte prédication de Dieu. Donc lorsque tant de pasteurs viendront avec leur troupeau devant les yeux du Pasteur éternel, que pourrons-nous dire, nous misérables, nous qui après notre travail reviendrons les mains vides devant notre Seigneur, nous qui avions le titre de pasteur et qui ne pourrons pas montrer de brebis amenées par notre enseignement ? Ici-bas nous sommes appelés pasteurs et au jugement nous ne conduirons pas de troupeau.
18. Mais si nous avons été négligents est-ce que le Dieu tout-puissant abandonnera ses brebis ? Nullement; car il les fera paître lui-même comme il l'a promis par le prophète; et tous ceux qu'il a prédestinés à la vie éternelle, il les instruit par le stimulant des châtiments, par l'esprit de repentir. Et par nous du moins, les fidèles reçoivent le saint Baptême, ils sont bénis par nos prières, ils reçoivent de Dieu l'Esprit saint par l'imposition de nos mains ; ainsi eux-mêmes parviennent au royaume des cieux tandis que nous par notre négligence, nous tombons en enfer. Les élus purifiés par les mains des prêtres, entrent dans la patrie céleste et les prêtres à cause de leur mauvaise vie vont rapidement au supplice de l'enfer. A quoi ressemblent ces mauvais prêtres, sinon à l'eau qui au baptême lave les péchés des baptisés, les envoient au royaume céleste, et ensuite retombe et passe à l'égout ? Avec grande crainte, frères, veillons à ce que nos ministères eux-mêmes soient en accord avec notre charge. Pensons chaque jour à nous débarrasser de nos péchés pour que notre vie ne demeure pas liée par le péché, notre vie par laquelle Dieu tout-puissant délie chaque jour les autres de leurs péchés. Considérons donc sans cesse ce que nous sommes, pensons à notre travail, pensons à la charge que nous avons reçue. Faisons chaque jour nos comptes, ces comptes que nous aurons à rendre à notre juge. Car nous devons prendre soin de nous en évitant de négliger le soin de notre prochain, pour que chacun de ceux qui dépendent de nous soit assaisonné par le sel de notre parole. Lorsque nous voyons un célibataire livré à la luxure, il faut l'avertir de penser à contenir son iniquité par le mariage, en sorte que ce qui est permis lui apprenne à dominer ce qui n'est pas permis. Lorsque nous voyons quelqu'un qui est marié, il faut l'avertir de ne pas avoir les soucis du monde sans souci de l'amour de Dieu; qu'ainsi il plaise aux désirs de son conjoint sans déplaire à celui du Créateur. Lorsque nous voyons un clerc, il faut l'avertit de vivre de telle façon que sa vie soit un exemple pour les gens du monde, car si quelque chose en lui devait être justement blâmé, l'estime que l'on a de notre religion serait elle-même gravement touchée par son vice. Lorsque nous voyons un moine, il faut l'avertir de faire toujours attention à la retenue de son attitude dans ses actions, ses paroles et ses pensées et que ce qu'il montre ainsi au yeux des hommes il le montre également par sa conduite aux yeux de Dieu. C'est pourquoi celui qui est déjà saint doit être encouragé à croître en sainteté mais celui qui est jusqu'ici dans le péché, doit être averti qu'il doit se corriger ainsi tous ceux qui rencontreront un prêtre, recevront le sel de l'assaisonnement de sa parole. Tout cela, frères, pensez-y entre vous avec grande attention, tout cela accomplissez-le aussi avec vos proches. Préparez-vous à rendre compte au Dieu tout puissant de la charge que vous avez reçue. Mais ce que nous avons dit, nous l'obtiendrons mieux pour vous en priant qu'en parlant.
Prions.
Dieu qui avez voulu nous appeler à être pasteurs de votre peuple, accordez nous, nous vous en prions, d'être capable de vivre sous vos yeux le ministère dont nous avons été chargé par les hommes. Par notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles, amen.